Guercœur à Osnabrück (juin 2019)

Guercœur, qui n’avait plus été mis en scène depuis sa création en 1931, a enfin été redonné en version scénique. C’était à Osnabrück, en Allemagne.

Bien que les avis soient unanimes sur ses qualités, cet ouvrage demande de tels moyens techniques et musicaux pour le mettre en œuvre, que jusqu’à présent aucun théâtre n’avait réussi à le proposer à nouveau au public. C’est tout à l’honneur de l’opéra d’Osnabrück de se lancer dans une telle aventure.

Ceux qui ont assisté à l’une des représentations ont eu un privilège que Magnard lui-même n’a malheureusement jamais eu, malgré ses démarches opiniâtres. Nous avons la chance d’être invités à la dernière représentation, le 5 juillet 2019.

Vous trouverez ci-dessous nos impressions sur la mise en scène de cette très belle production. Un retour sur l’aspect purement musical suivra.

Toutes les photos sont de Jörg Landsberg. Merci à l’opéra d’Osnabrück de nous avoir autorisés à les publier.

La mise en scène de Guercœur pose certains défis au metteur en scène et au scénographe dont l’équipe de l’Opéra d’Osnabrück s’est fort bien tirée.

Face à l’écueil d’une mise en scène trop réaliste et stéréotypée (pour la représentation de l’Au-delà), avec d’importants changements de décor, puisque nous passons de l’Au-delà à l’Ici-bas et vice versa, les artistes ont choisi un dispositif simple et « recyclable » : des ellipses lumineuses en hauteur et une plate forme elliptique, sorte de scène sur la scène, au sol. Ce dispositif est maintenu sur les trois actes, figurant alternativement un lieu funéraire, la chambre de Gisèle, une estrade, une place publique…

Quant aux cercles lumineux suspendus tout au long du spectacle au-dessus de la scène, ils évoquent sans peine l’aspiration spirituelle de cette œuvre de Magnard, aspiration plus ou moins explicite et assumée d’ailleurs, le musicien s’étant maintes fois proclamé athée, dans sa Correspondance notamment.

Un écran occupe tout le fond de scène, sur lequel sont projetées tantôt des formes géométriques évoluant de l’abstrait au figuratif (notons en particulier ces structures d’atomes s’imbriquant les unes aux autres pour former progressivement le visage de Guercœur lorsque celui-ci « ressuscite »), tantôt des scènes plus réalistes, comme des manifestations écrasées par les forces de l’ordre, ou des bains de foule d’hommes politiques, puissantes évocations d’événements tragiques ayant marqué l’Histoire, du XXe siècle à nos jours…

C’est selon nous le meilleur aspect de la mise en scène (et de la scénographie), car il permet, par des effets techniques très contemporains et inimaginables du temps de Magnard, de relever le plus grand défi de la représentation de cet Opéra politico-philosophique. À cet égard, le premier acte s’ouvrant sur une multitude de visages éclairés flottants dans l’air, comme les étoiles d’une lointaine galaxie, saisit par sa poésie et l’étrange émotion qui s’en dégage. Magnifique évocation de l’Au-delà et du royaume des morts.

A notre sens, ce judicieux parti-pris épuré et intemporel des deux premiers actes n’a pas été tenu jusqu’au bout, et la « chute » dans l’hyper réalisme contemporain du 3e acte nous semble assez regrettable. La succession de scènes ancrées dans le quotidien (l’échec de la réanimation de Guercœur par une équipe médicale, l’incinération de son corps puis la mise en urne…) nuit à la pureté de l’ensemble et ne nous paraissait pas nécessaire. D’autant que ce 3e acte est un retour à l’irreprésentable: la Mort, où seules « parlent » Vérité, Beauté, Bonté et Souffrance, et où « le temps n’est plus », « l’espace n’est plus » nous dit Magnard.