Les concours des conservatoires

En août 1903, la « revue critique hebdomadaire » L’Art moderne a lancé une enquête sur les concours des Conservatoires :

 

L’incident [voir au début de ce document] provoqué au Conservatoire de Bruxelles, à la suite du concours de violon, par M. César Thomson, – incident qui a fait grand bruit, – nous a suggéré l’idée d’examiner impartialement la question de savoir si les concours annuels des conservatoires sont utiles ou nuisibles à l’enseignement de la musique et au développement de l’art.

Désireux de réunir sur ce point les avis les plus autorisés, nous avons adressé à quelques-unes des plus hautes personnalités du monde musical, – compositeurs, directeurs de conservatoires, chefs d’orchestres, etc., – les questions suivantes :

1° Les concours organisés dans les conservatoires de musique doivent-ils être maintenus ?

2° Dans l’affirmative, n’y a-t-il pas lieu d’y apporter certaines modifications, et lesquelles ?

3° Dans la négative, faudrait-il les remplacer par d’autres moyens de contrôler les progrès des élèves ? Quelles mesures préconiseriez-vous en ce cas ?

Les nombreuses réponses qui nous sont parvenues témoignent de l’intérêt qu’excite notre enquête parmi les musiciens. Nous remercions ceux-ci de l’empressement qu’ils ont mis à nous instruire de leur opinion et publierons successivement les lettres que nous avons reçues, nous réservant d’en tirer ensuite les conclusions utiles. »

 

Trente-trois musiciens ont répondu, et ont donné leur avis. Vous en trouverez l’ensemble ici. Celui d’Albéric Magnard a été publié le 11 octobre 1903 :

 

7 octobre

Bon,

Soyez excellent et pardonnez-moi de ne pas avoir répondu plus tôt à votre lettre.

Je me fiche des concours comme du pape, ce qui n’est pas peu dire, et ne leur attribue aucune influence, bonne ou mauvaise, sur l’évolution de l’art.

Berlioz et Dubois furent également Prix de Rome. Si ce titre n’a rien ajouté à la gloire du grand Hector, avouez qu’il ne diminue en rien celle du grand Théodore.

Le Prix de Rome m’a toujours semblé le type même des concours de conservatoires, dont il est d’ailleurs le couronnement logique et la synthèse.

Mille grâces,

A. Magnard

 

Il y aurait beaucoup d’enseignements fort intéressants à tirer de cette enquête. Lors de sa clôture, le 1er novembre 1903, Octave Maus en fait une synthèse (voir à la fin de ce document). Nous pourrions approfondir, mais le rapport avec Magnard, relativement peu concerné par l’enseignement, serait assez lointain. Une étude, centrée sur la pédagogie de la Schola Cantorum, pourrait cependant avoir toute sa place sur notre site. Nous y songeons.

Dans l’immédiat, nous pouvons déjà remarquer que le ton de la réponse de Magnard est tout à fait unique, parmi les trente-trois reçues. Même si l’on peut y trouver certains traits ironiques, voire sarcastiques, la quasi totalité de ces réponses jouent le jeu, et tentent d’apporter une réponse relativement sérieuse aux questions posées. Il y a trois exceptions notables : Eugène Ysaÿe, avec une sorte de parabole médicale ; Claude Debussy, au ton autant spirituel que désabusé ; et notre Albéric Magnard, de loin le plus direct de tous ! Il est d’ailleurs le seul à contredire l’« importance capitale » du sujet, en renvoyant dos à dos les partisans et les adversaires des concours.

Cette réponse est donc adressée à Octave Maus, qui était très proche de Magnard (voir également Hommage aux  »XX », cercle artistique d’avant-garde). Il n’est pas sans intérêt de citer ici une lettre de Magnard à son ami, envoyée au même moment que cette réponse. Nous ne résistons pas au plaisir de la reproduire intégralement ; elle est courte, et, outre son intérêt sur le peu de susceptibilité de Magnard, elle nous éclaire sur le degré d’intimité des rapports entre les deux amis :

 

8 8bre [1903]

Vieux,

Ne publiez pas si vous trouvez subversif ou à côté. Le Prix de Rome m’a toujours semblé le type même des concours de conservatoire, dont il est d’ailleurs le couronnement logique et la synthèse.

Vous seriez bien aimable de prévenir Zimmer [Albert Zimmer (1874-1940), violoniste beige, fondateur du Quatuor Zimmer, qui créera quelques mois plus tard le Quatuor de Magnard] que mon quatuor est terminé et que je le tiens à sa disposition. Si l’œuvre lui plait, qu’il la garde et la travaille sans hâte, à ses heures. Si elle ne lui plait pas, qu’il vous le dise et vous rende les manuscrits. Je ne me blesse pas de ces aveux-là quand ils sont faits franchement.

Comment va Madame votre mère ? Toujours vaillante et souriante, j’espère. Présentez-lui, je vous prie, nos respects les plus affectueux.

Adieu, belle blonde !

A. Magnard