Lettre à Guy Ropartz (15 septembre 1904)

[Baron,] 15.9.1904

Vieux lapin,

Très heureux d’apprendre que vous avez travaillé et que vous n’êtes plus, comme l’an dernier, dans l’état d’esprit d’un « homme qui a achevé son œuvre » ! Je me réjouis de lire tout cela, et notamment la sonate violoncelle. Ce n’est pas une forme commode que vous avez choisie la, et je suis bien curieux de voir comment vous vous en êtes tiré. Les deux dernières de Beethoven sont étranges. Je n’en ai d’ailleurs jamais entendu une exécution convenable. Le violoniste est rare, mais le violoncelliste !! Quels cochons que tous ces gens-là ! Paresseux comme des loirs, en dehors de leur entraînement quotidien, fermés à toute tentative nouvelle, lâches devant le public ! Je deviens de plus en plus indulgent.

Poursuivi par les maisons à 6 et 7 étages, et à quadruples dômes en casque de prussien, écœuré par les concierges, les domestiques, les sixièmes, etc… j’ai lâché Paris, sans trompette, et suis installé définitivement dans un village de l’Oise. Vieille boîte, vieux parc, de beaux arbres et des sources. Mais, toujours le même refrain, je vais dépenser plus que je ne voulais. J’ai d’ailleurs à proximité un hangar abominable, une usine odieuse et je vais vieillir la nuit par le bruit des voitures sur une route pavée !!! À part cela, tout va bien.

Je me suis remis au trio dont je termine l’andante. Vous n’y trouverez rien de nouveau. Je suis plus vidé et plus spleenitique que jamais. Si avez une journée, venez voir notre ermitage.

Vous enverrai l’hymne en octobre. Andante varié.

Comment vont Madame Ropartz et vos créations innombrables ? Bien, j’espère. Mes respectueux hommages à votre femme ; la baronne[1] vous envoie à tous deux ses meilleurs souvenirs et bien affectueuse accolade.

A. Magnard

[1] Jeu de mot sur le nom de Baron-sur-Oise. où venait de s’installer le couple Magnard.