Lettre à Marcel Labey (11 février 1898)

[Paris,] 11.2 [1898 ?[1]]

Cher Monsieur,

L’analyse du scherzo du septième quatuor[2] que vous m’envoyez est ingénieuse, mais elle n’est pas claire et mes vieilles habitudes rationalistes me font un devoir de me défier de termes tels que : deuxième première idée.

Si une idée est première, elle n’est pas seconde, et réciproquement ; seul, un premier second Grand Prix de Rome pourrait se refuser à cette évidence. Je crois d’ailleurs, que, pour analyser nettement du Beethoven, il faut s’occuper beaucoup moins de numéroter les idées que de classer les tons. Je ne chicanerai pas sur les cinq casiers de l’andante mais le chiffre n’a rien de fatidique, et la forme, en ce cas, est celle d’un rondeau.

Vous me ferez plaisir en venant causer de temps à autre et vous ferez bien de causer avec tous les musiciens dont l’œuvre vous intéresse. Quand vous aurez constaté combien tout ce que nous racontons est contradictoire, vous comprendrez qu’il n’y a pas de règles précises en fait de technique, et que les règles d’école ne sont utiles que comme gymnastique d’assouplissement.

Si Bach avait entendu le treizième quatuor de Beethoven, son ahurissement n’aurait pas été moindre que celui de Beethoven entendant le prélude, pourtant si tonal, de Tristan. La grosse affaire est de s’émouvoir.

Vous avez peiné dans des exercices préparatoires indispensables ; cela est bien, il s’agit maintenant de les oublier. Lisez du Pascal ou du Diderot, du Bossuet ou du Spencer, contemplez des Rembrandt ou des Rubens, admirez le ciel et les étoiles, mais pour Dieu ! quand un rythme ou un chant vous vient, ne pensez à rien d’autre qu’à faire quelque chose de beau.

Cordialement.

A. Magnard

[1] L’année de cette lettre n’est pas mentionnée. À notre avis, elle ne peut remonter au-delà de 1898, date à laquelle Labey s’inscrit à la Schola Cantorum. Elle nous prouve que Magnard continua à faire œuvre d’enseignement informel après l’hiver 1896-97, au cours duquel il avait remplacé à la classe de contrepoint Vincent d’Indy, retenu par les répétitions de Fervaal à Bruxelles.

[2] Le septième quatuor de Beethoven. L’analyse des quatuors de Beethoven était un exercice de base de la formation dispensée par la Schola Cantorum (cf. les nombreuses recommandations de d‘Indy à ce sujet dans sa correspondance avec Witkowski ou Ropartz, naturellement reprises tout au long de la correspondance de Magnard).