Livret de Bérénice (Acte III, scène 3, extrait)

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Marguerite Merentié dans le rôle de Bérénice, d’A. Magnard

TITUS: Si tu m’aimes toujours ne quitte pas ces rivages ! Si tu ne veux de mon pouvoir, demeure ma maîtresse, ma seule joie au monde ! Sois encore mon espoir, ma beauté, mon refuge !

BERENICE: Titus ! Hélas ! Pourquoi, pourquoi si tard ? L’irréparable est consommé… Pendant les cinq années que je fus ta maîtresse, nulle ombre n’a terni notre bonheur. Nous nous aimions avec la confiance qui seule fait vivre l’amour. Maintenant le doute est entré dans nos âmes. Je craindrais à toute heure de perdre ta tendresse. Tu me reprocherais, sans oser me le dire, de n’être plus l’amante d’autrefois.

TITUS: Alors, je veux vivre mon rêve ! Ordonne le départ et fuyons sur les mers ! Entre le ciel et l’onde oublions le passé ! Que ce navire emporté par les vents, aborde en des terres lointaines, où nous puissions renaître à notre amour.

BERENICE: Ah ! le beau rêve ! oublier nos angoisses. Revivre à la douceur d’un amour immortel. Ainsi, jadis, la reine Cléopâtre arracha son amant aux périls du combat ! César ! Le voudrais-tu ? César ! Ne pense pas que j’aie l’âme assez vile pour t’aimer plus que ton bonheur !

TITUS: Jamais je ne t’ai vue si belle et jamais ta beauté n’eut plus d’empire sur mes sens. Crois-tu donc résister à mon désir vainqueur ? Je t’aime. Bérénice, je veux te posséder encor !

Il veut étreindre Bérénice.

BERENICE: Arrière ! Barbare, qui m’infliges le plus dur des tourments, me refuser à toi!
Notre dernière étreinte était une fête sacrée, où j’avais convié la Nature et les Dieux. Dans les jardins de la villa romaine, remplis de doux silences et d’ombres parfumée, je t’attendais, frémissante, exaltée…
Je me serais donnée avec le désespoir de l’amante sachant que l’amour va finir, et peut-être Vénus m’aurait-elle exaucée. J’emporterais en Orient le tendre fruit de nos caresses. Ah ! cher enfant, que je l’aurais aimé ! Nulle autre que moi-même n’aurait pris soin de sa faiblesse. Je l’aurais nourri de mon sein… J’en aurais fait un être de noblesse, vaillant, fort et bon comme toi… Mais… me donner… ici… Non… je ne veux… Pardonne-moi… L’heure est venue, il faut nous séparer.

TITUS: Quelle mélancolie est entrée dans mon âme! Une lassitude infinie m’enveloppe, m’étreint. Je ne crois plus à l’avenir. Mon règne sera court.
Jusqu’à la dernière heure me suivra le remords de t’avoir délaissée…

BERENICE: Chasse ces pensers funèbres ! Prends sur moi, s’il le faut, l’exemple du courage ! Ma vie est terminée et la tienne commence. Accepte le destin ! (…)